« En ce temps là, mais qui n'est pas si lointain, Noyen était déjà un petit village mais dans lequel on vivait differemment. Certes, je pourrais vous dire qu'on y vivait mieux mais j'étais trop jeune à l'époque pour en juger maintenant et de plus on me rétorquerait qu'en vieillissant on a coutume de dire que c'était mieux avant !

En tout cas, il y avait peu de voitures et donc plus de tranquilité ... les habitants se déplacaient peu, juste le nécessaire et suffisant et vivaient beaucoup plus en autarcie. Il y avait quelques commerces: deux épiceries, une boulangerie, des bistros et plusieurs fermes réparties dans le bourg et les hameaux.

Il y avait aussi plus d'enfants, que les mamans, pour les plus petits,  amenaient à l'école 2 fois par jour et venaient rechercher pour le retour à la maison, à pied ou à vélo, des enfants qui le soir venu ou les jours sans classe, sillonnaient le village qui retentissait de leurs jeux.

Tout cela faisait que Noyen était beaucoup plus animé, il vivait, il résonnait des bruits de la vie quotidienne de ses habitants. Ce temps là, c'était aussi celui de la convivialité : on se voyait plus, on se parlait plus, on vivait plus ensembles peut-être parce qu'on avait plus de temps ou certainement parce qu'on le savourait plus.

Pépère Pourquoi évoquer ces souvenirs un  peu nostalgiques ? Tout simplement  pour vous présenter le cadre et  l'atmosphère de l'époque où j'ai  cotoyé, avec mes oncles et des  camarades de mon âge, Simone et  Marcel. Leur ferme, la ferme de la  place,  était notre terrain de jeux  favori et ils nous laissaient le parcourir  à notre guise. Il s'y passait toujours  quelque chose : tous les soirs c'était  le défilé des habitants qui venaient y  chercher le lait avec leur laitière en aluminium.

J'y voyais mon grand père qui conduisait d'un pas lent son cheval tirant un lourd tombereau. Chaque saison était différente : il y avait le temps des semailles au printemps, le temps de la moisson en été et le temps des labours en hiver et le spectacle était sans cesse renouvelé.

Ce que nous préférions, était d'aller jouer « derrière », c'est-à-dire de l'autre côté du long bâtiment qui barrait la cour de la ferme ... là, il y avait un hangar rempli de ballots de paille et nous pouvions grimper à l'assaut de ces murailles de paille et construire des camps retranchés inaccessibles d'où nous pouvions surveiller nos ennemis.

Puis sont apparues les premières télévisions ... il y en avait très peu à Noyen mais elles étaient en quelque sorte en « libre service », c'est-à-dire que les maisons des familles qui en possédaient une, devenaient un point de rencontre. C'était en quelque sorte une évolution des veillées d'antan.

 Certes, ce n'était pas un véritable échange puisqu'on se contentait de regarder le monde au travers de cette petite lucarne en noir et blanc mais chacun faisait ses commentaires et certains soirs, il pouvait y avoir une douzaine de personnes toutes générations confondues.

Et la ferme de Simone et Marcel était l'un de ces points de rencontre et cette convivialité autour d'un poste de télévision est certainement un de mes meilleurs souvenirs d'enfance.

Combien de soirées ai-je passées avec d'autres de mon âge à suivre ces feuilletons d'avant dîner qui nous captivaient ? (Nous n'avions droit à la  deuxième partie de soirée que s'il n'y avait pas d'école le lendemain ou pendant les vacances). La pièce ou trônait la télévision était toujours ouverte, nous y étions comme chez nous, jamais Simone ne nous aurait interdit d'y entrer. Il faut aussi dire que nous respections ces adultes qui eux avaient travaillé dur toute la journée et il suffisait que l'un d'eux hausse la voix pour qu'aussitôt le calme revienne.

La ferme sur la place était donc notre seconde maison et Simone et Marcel étaient donc un peu comme nos seconds grands parents.

Aucun de nous n'a jamais eu l'occasion de leur dire, mais nous les remercions du fond du cœur pour leur gentillesse car des souvenirs comme ceux-là ne s'oublient jamais et construisent une vie d'adulte sur des bases solides ".